Nature et Culture au domaine de Kerguéhennec.

Le week-end dernier, le Rat de Musée et le Rat Prof se sont promenés en Bretagne… Après un arrêt à Dinan pour rendre visite à nos amis (et découvrir, au passage, la jolie petite cité de Léhon), nous avons mis cap au Sud-Est, direction le domaine de Kerguéhennec. Labellisé « Centre Culturel de Rencontre », ce château du XVIIIème siècle acquis par le département du Morbihan en 1972 est un centre d’art contemporain situé au cœur d’un parc de sculptures de 45 hectares. C’est tout le paradoxe de la Bretagne, terre de contrastes, où la création artistique s’épanouit à la fois dans les grandes villes et loin d’elles.

En pays de Bignan (moins de 300 âmes, mais une bonne boulangerie!), le domaine de Kerguéhennec, le « Versailles breton » comme on le surnomme, affirme sa singularité avec une collection très riche, qui attire chaque année de nombreux visiteurs. Nous nous y sommes malheureusement rendus un lundi, jour de fermeture du château et des dépendances ; pour moi, il était cependant inconcevable de passer si près d’une étape comme celle-ci sans s’y arrêter. Nous avons donc consacré plus de deux heures et demie à explorer le parc de sculptures, en contournant l’imposant château. C’est d’ailleurs un  véritable éblouissement lorsqu’on arrive face à ce bâtiment de pierre blanche, dans l’axe de l’allée cavalière qui mène au bois.

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SAMSUNG CAMERA PICTURESEntre le château, les écuries et la chapelle, le domaine accueille des expositions temporaires ;  au moment de notre visite étaient présentées des œuvres réalisées par des artistes coréens dans le cadre de l’année France-Corée. Deux créations de Shim Moon Seup étaient d’ailleurs visibles dans la cour d’honneur : un arbre doré un peu kitsch et une installation flottant sur le bassin.

Quant à la bergerie, elle abrite une importante donation Tal Coat ; j’ai failli mourir de dépit de passer devant sans pouvoir y jeter un œil, mais ce sera pour une prochaine fois (le Rat Prof me l’a promis)! Le domaine propose également des résidences d’artistes à l’année, et assume avec brio sa mission de créer du dialogue et des rencontres en organisant régulièrement des ateliers qui explorent la création contemporaine en se basant sur les expositions en cours, et exploitent également les ressources naturelles de l’immense parc (cours de cuisine sauvage ou découverte du jardin potager partagé).

Toutes ces informations se retrouvant sur le site (très complet) du domaine, revenons-en donc à ce que nous avons pu découvrir en cette journée ensoleillée, bien propice à une bonne balade au milieu d’œuvres magnifiques. A l’entrée du parc sont proposés deux parcours, l’un orienté au Nord, avec un crochet par l’arboretum, et l’autre au Sud. C’est là que les choses se gâtent (un peu) : pour un visiteur lambda et pas forcément équipé d’une connexion Internet pour se rendre sur le site, comment choisir quel chemin emprunter? En dehors du panneau à l’entrée, aucune médiation n’est proposée au pèlerin ignorant ; les choses sont peut-être différentes les jours d’ouverture du château, mais, en l’absence de toute présence humaine ce lundi d’avril, nous avons donc abordé le parcours un peu à l’aveuglette. Pourquoi ne pas envisager d’imprimer quelques plans et descriptifs des œuvres à laisser à l’entrée, ou même de proposer un plan au téléchargement et à l’impression sur le site? Cela serait d’autant plus intéressant que certaines sculptures ne sont pas accompagnées de cartels précisant leur nom et celui de l’artiste…

Ce petit souci mis à part, nous avons passé une merveilleuse après-midi dans les allées boisées du domaine et autour des étangs ; du « Porte-vue » de Keith Sonnier, sorte de dolmen en granit brut, à l’installation très poétique de Jean-François Feuillant, « N’habite plus à l’adresse indiquée », en passant par les « Colonnes à Mallarmé » d’Étienne Hajdu, qui livrent une perspective intéressante sur le domaine, la première partie de la balade s’est déroulée dans une atmosphère tout à fait inspirante.

Face aux étendues d’eaux lisses à peine troublées par la brise printanière, nous avons découvert le génial « Naufrage de Malévitch » signé François Morellet, et les « Parcours flottants » de Marta Pan. Enfin, au sommet d’une petite éminence dominant le lac, nous avons scruté avec une curiosité de voyeurs l’intérieur de la petite maison conçue par l’artiste Hreinn Friðfinnsson (merci le site Internet, aucun cartel n’étant en vue pour nous permettre de l’identifier lors de notre venue…).

Sur le second parcours, quelques œuvres ont vraiment attiré notre regard, comme la « Couronne » de Vincent Barre, sorte de ver géant se mordant la queue, le « Chêne » de Roland Cognet, positionné comme un bélier contre le mur d’enceinte du château, ou « Un cercle en Bretagne », la belle contribution d’un artiste britannique, Richard Long. Ces sculptures, qu’il s’agisse d’acquisitions du FRAC, du CNAP ou de dépôts d’artistes, sont d’autant plus mises en valeur dans l’écrin naturel du parc, où s’épanouissent des espèces rares.

Vous en voulez encore? Ces quelques photos vous donneront, je l’espère, envie de programmer une petite escapade au domaine de Kerguéhennec. Allez-y de préférence sur les jours d’ouverture… nous nous y croiserons peut-être, car le Rat Prof et moi comptons bien compléter l’ébauche de cette première visite avec la découverte des riches collections du château et des dépendances!

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Au LAM, la beauté brute.

Le Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille métropole…je rêvais depuis longtemps d’y planifier une visite, sans avoir eu jusqu’à présent l’opportunité de la concrétiser. L’exposition « Modigliani, L’œil Intérieur » qui y est programmée jusqu’au 5 juin m’a fourni l’occasion idéale pour pousser les portes de cette merveilleuse institution culturelle…

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Le LAM est le fruit de l’importante donation d’un couple de collectionneurs, Jean et Geneviève Masurel, qui souhaitaient léguer leurs quelques deux cents œuvres d’art moderne à un musée du nord de la France…sous réserve que celui-ci se dote d’un parc de sculptures et d’un service pédagogique. Le choix se porte sur Villeneuve d’Ascq où l’on décide de construire une structure nouvelle dédiée à l’art moderne et contemporain, un vrai pôle culturel dont la vocation est bien évidemment de dynamiser l’aire urbaine autour de Lille. Inauguré en 1983, le bâtiment de briques aux toits en sheds échelonnés, signé Roland Simounet, se fond remarquablement dans la verdure qui l’environne. On y pénètre par un patio qui facilite la transition entre l’espace du dehors et celui, très épuré et rigoureusement articulé, du dedans : l’horizontalité règne en maîtresse sur la structure, qui, en 2009, se dote sur le flanc est d’une extension spécialement conçue par l’architecte Manuelle Gautrand. Cette addition bétonnée percée de moucharabiehs accueille aujourd’hui l’une des plus belles collections d’art brut de France, quatre mille pièces collectées par l’association L’Aracine.

A rebours de mon propre parcours de visite, puisque j’ai débuté ma visite par l’exposition Modigliani, intéressons-nous d’abord aux collections d’une grande richesse qu’abrite le LAM. La donation Masurel, à l’origine de la création, fait la part belle aux cubistes, avec des Braque, des Picasso ou des Juan Gris tout à fait caractéristiques des prémices du mouvement ; des Miro, des Dubuffet ou des Léger (magnifique « Femme au bouquet ») se côtoient sans se gêner. Peu sensible à l’art moderne, le Rat a néanmoins passé un beau moment contemplatif dans les espaces conçus comme autant de « machines à voir » par l’architecte. L’interpénétration intérieur/extérieur, matérialisée par la grande baie vitrée de la salle du fond, se ressent aussi dans les volumes qui se dilatent ou s’étrécissent à mesure que l’on y déambule.

La plupart des salles d’exposition réservées à l’art contemporain étaient fermées le jour de ma venue, et c’est un gros regret de ne pas avoir ne serait-ce qu’entrevu l’installation de Buren ou la grosse carte de France en peluches d’Annette Messager. J’ai en revanche pu savourer la perfection de l’outre-noir devant une œuvre de Soulages, sourire devant les lièvres boxeurs de Barry Flanagan, et chercher la meilleure perspective pour appréhender dans son ensemble l’arc-en-ciel des « Perfect Vehicles » d’Allan Mc Collum.

Indubitablement, c’est la section consacrée à l’art brut qui m’a retenu le plus longtemps. Je ne me dépars pas de ma fascination pour « l’art des fous », comme on l’appelait il y a encore peu de temps, et l’émotion que j’éprouve devant les créations d’une Aloïse Corbaz ou d’un Théo Wiesen est toujours aussi forte. J’admire surtout le fait que ces « illettrés de l’art », autodidactes et inconnus pour la plupart, soient parvenus à exprimer leur besoin de créer, au-delà des barrières normatives. Surmontant les obstacles matériels (pénurie ou mauvaise qualité des matériaux, interdictions…), et en dépit des contingences qui les avaient parfois placés derrière les barreaux d’une prison ou d’un asile d’aliénés, ces obscurs génies ont fait, envers et contre tout, acte d’existence. Entre minutie presque maniaque, prophéties illuminées, délires de persécution ou sculptures à peine ébauchées, taillées dans le vif comme pour exorciser on ne sait quels démons, le panorama proposé (rassemblé entre 1945 et 1996, d’abord par Jean Dubuffet puis par l’association l’Aracine) est impressionnant de diversité et de beauté…brute.

 

Au fil de ma balade au gré des courants de l’histoire de l’art, officielle ou non, j’ai énormément apprécié la découverte de cet établissement, que je n’imaginais pas si riche.

Et l’exposition Modigliani, but premier de ma visite, qu’en ai-je donc pensé? Je connaissais bien sûr l’artiste, pour avoir côtoyé, au cours de mes études d’histoire de l’art, ses belles odalisques aux cous démesurés et aux grands yeux rêveurs en amande…mais l’exposition m’a dévoilé de nombreuses facettes supplémentaires, notamment le travail de sculpteur de l’artiste, qui, fraîchement débarqué d’Italie, s’installe au cœur de Montmartre pour y travailler la pierre et le bois aux côtés de Constantin Brancusi.SAMSUNG CAMERA PICTURES Des problèmes pulmonaires, combinés à des réalisations qu’il juge inabouties et qui ne le satisfont pas, le poussent à se tourner vers la peinture. Ses différentes sources d’inspiration, des Cyclades à l’Égypte en passant par le Cambodge ou l’Afrique noire, sont mises en relation, au cœur de l’exposition, avec les réalisations qu’elles ont influencé. Les comparaisons établies sont fascinantes! Le parcours s’oriente surtout en fonction des personnalités côtoyées par Modigliani, qu’il s’agisse des autres artistes, des commanditaires ou des marchands d’art dont il a pu faire le portrait. La création de ce style reconnaissable entre tous, mélange d’individualisation et d’idéalisation de son sujet, est évoquée au fur et à mesure que la personnalité de l’artiste se construit, forte de sa différence. La mort prématurée du peintre, suivi dans la tombe par sa jeune compagne enceinte, qui se défenestre le lendemain de son décès, met un point final aux recherches artistiques de ce précurseur. En peu d’années, et grâce à un rythme de production soutenu, il sera parvenu à imposer sa vision d’une peinture comme un miroir de l’âme, à la fois de l’artiste et du sujet, dont il représentait d’ailleurs souvent les yeux sans pupille, tournés vers leur secret intérieur…

 

J’espère que cet article vous aura donné envie de découvrir le LAM et les trésors qui s’y cachent! En bonus, quelques photos du parc de sculptures, où l’on peut notamment admirer « La Croix du Sud » de Calder…

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